Nous allons proposer une théorie de la naissance du sujet, intitulée théorie du cartouche utilisant les expériences de cures psychanalytiques et les travaux réalisés par des enfants en grandes difficultés réalisant des prodiges pour leur guérison. Nous allons tenter de montrer comment le sujet naît à partir de figurations spécifiques, séquestrées dans un bassin attracteur véritable champ de forces vivants.
Nous partirons donc en voyage à travers d’étranges espaces mentaux. Nous parcourrons des feuillets organiques, nous traverserons des membranes vivantes faisant architecture et mouvance pour le sujet et nous en repérerons les traces dans la parole. Nous serons proche d’une pensée animiste qui instaure un « Nous » tellement singulier et qui, à notre insu, continue de vivre en nous. Nous chercherons ce qui fait l’humanisation, son humus, ses traces, ses origines. Nous chercherons l’humain au minimum.
Car que peuvent les psychanalystes quand il n’est pas possible de jouer la partie du sujet désabonné du verbe, banni du verbe ou dont le verbe n’est pas bien incarné ? F. Deligny nous montre la voie : « Il faut passer quand même, guidé par l’intuition d’un autre pôle qui détourne et rebute l’usage invétéré du langage. Il y a d’autre passages que par le mot d’autres voies que la voix ». Découvrir une autre voie que la voix, la parole à minima, le moins que parole, la parole à l’envers jusqu’à l’agir, le tracé, le figuré est la raison de ce transespace, lieu du sujet « indestiné », non parvenu à son destin agissant, livré aux déchainements intérieurs, à l’angoisse dans un monde d’objets instables, dans une pensée écartelée, en morceaux, laissée dehors, enfermée dehors. Pour cela, nous avons à apercevoir les dessous de l’écriture. Il nous faut partir à la conquête du sujet, non pas dans le défilement des mots, mais par ce qui anime le texte, non pas entre les lignes, mais derrière la page blanche : elle peut tout à coup se révéler couverte de messages de vie et de formes qui grouillent.
Avec « le Cartouche », nous sommes au cœur des problématiques du comportement, des mouvements et des actes mentaux. Nous etudions la possibilité de reconstruire et de rassembler un groupe de figures, dénommé « cartouche », chez un enfant. Cette reconstruction/re-création lui permet de commencer puis de « par-faire » sa construction psychique d’une manière psychodynamique, et d’habiter son « Je ». Notre postulat, c’est que nous avons chacun un Cartouche, toujours opérant et actif, quoique démenti. Le symptôme névrotiques se construiraient alors comme des manières différemment structurées de rejeter le Cartouche. Ce dernier est pourtant l’assise du psychisme et préside à la structuration du sujet. Toutefois, nous ne pouvons pas l’évoquer et l’analyser en termes œdipiens: c’est un dispositif fonctionnel qui n’a jamais été reconnu par le Moi, lequel n’existe pas encore en ce lieu de la structure. De ce fait, le Cartouche déplace l’impossible actuel de la psychanalyse dans la structure.
Il peut être montré une succession de dessins correspondant à trois histoires d’enfant. Lacan a débroussaillé le terrain en évoquant dans Litturaterre, le plan de l’écriture psychique. Il le compare aux phénomènes d’érosion du sol qu’il pouvait voir depuis un avion. Remarquons qu’à la même époque, Fernand Deligny, par une autre voie, mettait en évidence par des tracés, les cheminements spontanés et les comportements d ‘enfant mutiques. Il retranscrivait leurs déplacements et leurs comportements, au cœur des Cévennes, sur un territoire investi par le groupe, qu’il appelait le radeau. Il obtenait de singulières formations d’entrelacs qui se structuraient en ce qu’il appelait notamment des lignes d’erre, des chevêtres et des lignes d’aire. Ces tracés permettaient de révéler une forme d’imaginaire structuré, non pas par du signifiant, mais par des comportements. Ce réel de l’imaginaire, sans cela, serait resté invisible tandis que par ce truchement, il prenait l’aspect de gravure. Deligny tentait d’y trouver les traces de l’humain avant qu’il n’ y ait eu la Parole. Concernant ce plan d’écriture, Lacan, de son côté, définit trois phénomènes différents : le ravinement, le ruissellement et le ravissement.
Les travaux d’enfants présentés montrent ces trois fonctionnalités à l’œuvre dans les traçages. Elles semblent déterminantes cliniquement pour l’entrée en jeu de la parole. Nous assisterons à des effets de sujet, depuis le traçage jusqu’à l’écriture et la parole. Il sera possible alors de construire les premiers pas d’une scriptopsychanalyse qui considère et travaille au sein d’un véritable scriptorium du sujet. Afin d’affiner et de poursuivre et d’augmenter le champ de ce que Freud et Lacan ont pu poser comme hypothèses, mais aussi en nous en dégageant sur le plan conceptuel, nous montrerons comment un certain nombre de remaniements très fins au sein de ces tracés sont nécessaires dans certains cas pour que la parole survienne. Il s’agira de repérer des fractures, des condensations, des torsions anormales dans les tracés et d’en définir les règles. Ce scriptorium projeté sur le papier, cette Egographie, ce plan servant de dispositif au tracé, je le nomme plan B d’opération sur les traçages. Plus tard nous traverserons le plan, nous irons au delà des limites de cet espace de traçage pour entrer dans un autre univers : celui des figurations.