Psychanalyse de l’enfance


Les psychanalystes peuvent de leur coté répondre autrement avec beaucoup d’efficacité face à ces problématiques d’identifications des enfants aux parents évitant ainsi des traitements coûteux pour la société et couteux psychiquement pour l’enfant. En effet, le comportementalisme, plutôt que de permettre une traduction de la pulsion de l’enfant, va produire une répression des manifestations de révoltes fondées sur l’agressivité pulsionnelle à l’origine qui développera dans le dessous un symptôme qui surgira de manière manifeste en fin d’adolescence, si ce n’est avant. Habitué dès le plus jeune âge au contrôle surmoïque, l’enfant viendra plus tard chercher un contrôle social en se mettant dans des situations extrêmes et retrouvera ainsi les oppositions auxquelles il était habitué. Or les adultes qui viennent porter leur plainte dépressive dans les cabinets d’analystes ont depuis longtemps utilisé ces méthodes qu’ils ont intériorisé jusqu’au point d’écraser leur désir qui apparaît sous forme de symptôme inutilisable.

En réalité, le symptôme est la réponse du psychisme lorsque la pulsion est traitée, soit par le sujet lui-même soit par son environnement par des catégories de comportements relevant dans la classification sémiologique de Pierce de la notion de priméité ou de secondéité.

Ces méthodes sont appliquées sur les enfants névrosés et encore plus sur ceux en grandes difficultés très bougeants, difficiles à contrôler qui alors recevront des classes de psychotropes ou des moyens coercitifs bien plus importants. Mais il faut reconnaître que la psychanalyse doit évoluer sur la question des grands troubles de l’enfance. En effet, la théorie lacanienne et dans une moindre mesure, la théorie kleinienne, malgré des avancées intéressantes (notamment chez Frances Tustin) ne peuvent saisir conceptuellement cet aspect des difficultés auxquelles nous sommes confrontés avec l’enfant autiste. Gisela Pankow ouvre des voies interessantes cependant. En outre, il existe comme une désaffection des psychanalystes pour ce type de prise en charge en dehors des institutions ou bien il existe de plus en plus de réseaux qui drainent les enfants vers leurs membres comportementalistes, branche de l’hôpital en ville. Quoi qu’il en soit, la théorisation et la pratique psychanalytique avec les autistes sont mal définies, hésitantes, car elles manquent de repères cliniques et théoriques susceptibles de guider le travail et de permettre une lecture des phénomènes qui se produisent. Dire que le psychanalyste s’occupe du sujet n’est pas suffisant car l’enfant autiste est en attente de la terminaison d’une architecture mémorielle capable de l’amener au rang de sujet disant « Je » mais un je habité. Contre le comportementalisme et les cognitivistes, c’est à la psychanalyse qu’il revient de tenter de comprendre par la subjectivité, autrement dit par l’intérieur par la tiercéïté. Subjectivité qui fait notre caractéristique d’humain, là où d’autres procèdent avec violence pour redresser les « comportements dysharmonieux ». Que la psychanalyse comprenne ce qui se passe avec l’autisme est juste une affaire de temps. Son succès est manifeste avec la névrose. Les travaux de Freud, Lacan ou d’autres, ont onné des outils d’analyse efficients remarquables pour la clinique de la névrose et de ce qui est appelé couramment la dépression.

Il est tout à fait possible de faire évoluer la pratique de la psychanalyse si on tient compte de son lien avec l’anthropologie. Il est absolument nécessaire de résorber les apparentes disjonctions entre les études des faits collectifs et celles des faits individuels. Il a été prouvé depuis longtemps qu’il existe un rapport entre la phylogenèse et l’ontogenèse et qu’il est possible de qualifier l’autisme et la psychose comme des troubles, dans l’ontogenèse, d’une indexation transcendantale du sujet. Une somme considérable de savoirs sur nos origines et sur le fonctionnement psychique est disponible à travers les données recueillies par les ethnologues. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’une somme considérable de données transitent par les dessins des autistes, que l’on néglige ou que l’on jette, que l’on considère comme du déchet parce qu’on ne sait pas les lire. Contrairement à l’enfant névrosé qui est distant de ses dessins, l’enfant autiste y met sa vie mémorielle qu’il tente de construire. Il n’a en effet pas construit ses Titans pulsionnels. Nous devons, comme Champollion, procéder autrement. Il nous appartient de considérer les dessins des enfants autistes comme un corps à l’œuvre, un corps prêt à croître et à terminer sa croissance vers sa réunification au lieu du « Je ». Il est fondamental de laisser place au savoir des enfants et d’être capable de lire cette retranscription : aujourd’hui l’enfant autiste rencontre bien souvent la surdité, l’aveuglement, la brutalité et la bêtise.
Il est possible de montrer qu’on peut aider à reconstruire ou à terminer la construction psychique de l’enfant autiste qui, sinon, subira de plus en plus des maltraitances légales au mépris de son droit à l’humanité. L’autisme n’apparaît alors plus comme un handicap, mais comme une construction génésique non terminée mais terminable, des principaux dispositifs psychiques de base qui sont capables de « névroser » un sujet. La névrose n’est donc que l’effet d’un démenti de ces motifs à ciel ouverts chez les enfants autistes, arrêtés au cours de leur développement. La théorie du cartouche que j’élabore depuis plusieurs années est une clinique et œuvre pour la reconstruction du cartouche de l’enfant. Ce cartouche construit ou à (re) construire est représenté par une organisation mémorielle active, toujours en train d’être là et qui fait l’humain, l’humain n’est pas l’homme, avant qu’il ne soit subjectivé en tant qu’homme. Le cartouche, organon psychique semble universel et pose un principe d’égalité des hommes par rapport à cette mémoire composée de figurations, à la consistance permanente, aux fonctionnalités précises, dont chacun d’entre nous est muni, mais que nous avons oubliée. Nous omettons de savoir que cette mémoire à la base de notre ontogenèse nous contraint dans un certain espace de pensée. Par le cartouche que l’on peut cliniquement constater, observer, reconnaître, il est possible de montrer comment une certaine universalité des processus de constructions psychiques est à l’œuvre et que nous vivons sur un espace temps empédoclien démenti.
Grâce au savoir ethnologique qui préserve et garde intacte la mémoire des mythes et des rituels, par nature les projections psychiques des formations originaires du psychisme, on apprend beaucoup sur la manière de conduire nos interventions au cœur des manifestations de l’enfant autiste. Maurice Godelier écrit

l’anthropologie, contre ceux qui en doutent, s’est montrée et se montre toujours capable d’accumuler des connaissances nouvelles sur les hommes, sur leur manière de penser et d’agir, même si ces connaissances formulées par nous ne le sont pas dans les formes où elles l’étaient par les acteurs eux-mêmes.

La conduite rigoureuse à observer avec ces enfants, c’est le soutien, dans la reconquête de ce que l’anthropologue P. Descola nomme leur « organe d’intériorité ». Selon lui, si l’on ignore ce qu’est cet organe d’intériorité, celui-ci serait néanmoins détectable dans les cultures qui en seraient l’effet. Les cultures se structureraient selon ce qui provient de cet organe dont la composition reste cependant mystérieuse. Selon le type d’organisation de l’organe d’intériorité se produirait par sommation individuelle traduite en mythe, un type des société soit naturaliste totémique analogique ou …….. Et par conséquent certaines cultures nous renseignent effectivement mieux que d’autres, car étant plus proches de lui par les mythes, sur les premiers processus psychiques que nous avons oubliés et qui sont la dynamique de l’organe.
Mais pour cela, il est nécessaire de faire sauter deux dogmes qui ont la vie dure à la fois chez les psychanalystes et chez les anthropologues. Chez les psychanalystes, Lacan articule que le phallus comme signifiant privilégié du désir, c’est un signifiant qui est en position d’exception par rapport aux autres signifiants mais qui régit tout l’ordre du signifiant. Cela implique comme conséquence son élision de la chaîne signifiante. C’est un signifiant qui manque dans la chaîne, Lacan l’écrit (-φ, petit phi). C’est parce qu’il manque que le phallus est “imaginé” par le sujet et domine toute sa structuration. Si par définition la batterie signifiante est complète dans l’Autre du langage, c’est que ce signifiant possède un statut d’exception. Et selon Lacan, « Dans la mesure où l’Autre n’est pas seulement le lieu du langage mais aussi celui du discours et de la parole, ce signifiant est refoulé dans l’inconscient, corrélé au refoulé primordial qui n’est jamais levé ». C’est ce dernier point dogmatique qu’il faut lever. Le signifiant refoulé, trace mnésique complexe qui organise tout le réseau signifiant, est visible dans un moment particulier de la cure qui nous fit rejoindre le saut catastrophiste de la formule canonique. Chez l’anthropologue c’est cet organe de l’intériorité. Nous appellerons ce signifiant refoulé ou pas, le cartouche
En faisant sauter ce dogme nous pouvons aboutir à dire que chez l’autiste, ce signifiant refoulé n’est littéralement pas construit et le plan du refoulement n’ont plus. Ceci nous oblige également à repenser la théorie lacanienne des trois phallus à partir de ses trois définitions élaborées par Lacan, c’est-à-dire le phallus symbolique signifiant de la jouissance (Φ grand phi), le phallus signifiant du désir (φ, petit phi) et le phallus signifié (-φ, petit phi). Nous lui substituerons une notion de trois phallus au plan de refoulement qui semblent être un temps d’évolution antérieure au trois phallus lacanien qui sont la marque de leur réappropriation plus tardivement dans l’Oedipe et organisant plus tard l’amour et la sexualité anthropologique du sujet plus tard et qui jouent un rôle dans la castration. Les trois phallus sont : le phallus passant, le phallus indivisible et le phallus disséminant comme respectivement autant de surmois pour le sujet en tant qu’écriture.

Nous allons proposer une théorie de la naissance du sujet, intitulée théorie du cartouche utilisant les expériences de cures psychanalytiques et les travaux réalisés par des enfants en grandes difficultés réalisant des prodiges pour leur guérison. Nous allons tenter de montrer comment le sujet naît à partir de figurations spécifiques, séquestrées dans un bassin attracteur véritable champ de forces vivants. Nous partirons donc en voyage à travers d’étranges espaces mentaux. Nous parcourrons des feuillets organiques, nous traverserons des membranes vivantes faisant architecture et mouvance pour le sujet et nous en repérerons les traces dans la parole. Nous serons proche d’une pensée animiste qui instaure un « Nous » tellement singulier et qui, à notre insu, continue de vivre en nous. Nous chercherons ce qui fait l’humanisation, son humus, ses traces, ses origines. Nous chercherons l’humain au minimum.
Car que peuvent les psychanalystes quand il n’est pas possible de jouer la partie du sujet désabonné du verbe, banni du verbe ou dont le verbe n’est pas bien incarné ? F. Deligny nous montre la voie : « Il faut passer quand même, guidé par l’intuition d’un autre pôle qui détourne et rebute l’usage invétéré du langage. Il y a d’autre passages que par le mot d’autres voies que la voix ». Découvrir une autre voie que la voix, la parole à minima, le moins que parole, la parole à l’envers jusqu’à l’agir, le tracé, le figuré est la raison de ce transespace, lieu du sujet « indestiné », non parvenu à son destin agissant, livré aux déchainements intérieurs, à l’angoisse dans un monde d’objets instables, dans une pensée écartelée, en morceaux, laissée dehors, enfermée dehors. Pour cela, nous avons à apercevoir les dessous de l’écriture. Il nous faut partir à la conquête du sujet, non pas dans le défilement des mots, mais par ce qui anime le texte, non pas entre les lignes, mais derrière la page blanche : elle peut tout à coup se révéler couverte de messages de vie et de formes qui grouillent.
Avec « le Cartouche », nous sommes au cœur des problématiques du comportement, des mouvements et des actes mentaux. Nous étudions la possibilité de reconstruire et de rassembler un groupe de figures, dénommé « cartouche », chez un enfant. Cette reconstruction/re-création lui permet de commencer puis de « par-faire » sa construction psychique d’une manière psychodynamique, et d’habiter son « Je ». Notre postulat, c’est que nous avons chacun un Cartouche, toujours opérant et actif, quoique démenti. Le symptôme névrotiques se construiraient alors comme des manières différemment structurées de rejeter le Cartouche. Ce dernier est pourtant l’assise du psychisme et préside à la structuration du sujet. Toutefois, nous ne pouvons pas l’évoquer et l’analyser en termes œdipiens: c’est un dispositif fonctionnel qui n’a jamais été reconnu par le Moi, lequel n’existe pas encore en ce lieu de la structure. De ce fait, le Cartouche déplace l’impossible actuel de la psychanalyse dans la structure.
Il peut être montré une succession de dessins correspondant à trois histoires d’enfant. Lacan a débroussaillé le terrain en évoquant dans Litturaterre, le plan de l’écriture psychique. Il le compare aux phénomènes d’érosion du sol qu’il pouvait voir depuis un avion. Remarquons qu’à la même époque, Fernand Deligny, par une autre voie, mettait en évidence par des tracés, les cheminements spontanés et les comportements d ‘enfant mutiques. Il retranscrivait leurs déplacements et leurs comportements, au cœur des Cévennes, sur un territoire investi par le groupe, qu’il appelait le radeau. Il obtenait de singulières formations d’entrelacs qui se structuraient en ce qu’il appelait notamment des lignes d’erre, des chevêtres et des lignes d’aire. Ces tracés permettaient de révéler une forme d’imaginaire structuré, non pas par du signifiant, mais par des comportements. Ce réel de l’imaginaire, sans cela, serait resté invisible tandis que par ce truchement, il prenait l’aspect de gravure. Deligny tentait d’y trouver les traces de l’humain avant qu’il n’ y ait eu la Parole. Concernant ce plan d’écriture, Lacan, de son côté, définit trois phénomènes différents : le ravinement, le ruissellement et le ravissement.
Les travaux d’enfants présentés montrent ces trois fonctionnalités à l’œuvre dans les traçages. Elles semblent déterminantes cliniquement pour l’entrée en jeu de la parole. Nous assisterons à des effets de sujet, depuis le traçage jusqu’à l’écriture et la parole. Il sera possible alors de construire les premiers pas d’une scriptopsychanalyse qui considère et travaille au sein d’un véritable scriptorium du sujet. Afin d’affiner et de poursuivre et d’augmenter le champ de ce que Freud et Lacan ont pu poser comme hypothèses, mais aussi en nous en dégageant sur le plan conceptuel, nous montrerons comment un certain nombre de remaniements très fins au sein de ces tracés sont nécessaires dans certains cas pour que la parole survienne. Il s’agira de repérer des fractures, des condensations, des torsions anormales dans les tracés et d’en définir les règles. Ce scriptorium projeté sur le papier, cette Egographie, ce plan servant de dispositif au tracé, je le nomme plan B d’opération sur les traçages. Plus tard nous traverserons le plan, nous irons au delà des limites de cet espace de traçage pour entrer dans un autre univers : celui des figurations.