La mémoire entre neurosciences et psychanalyse

Recension du livre de Claudia Infurchia

La mémoire entre neurosciences et psychanalyse, au cœur du souvenir

Claudia Infurchia, Erès, 2014.

 La mémoire entre neurosciences et psychanalyse

La mémoire entre neuroscience et psychanalyse, un titre alléchant au départ. Démarche peu fréquente des éditeurs, il est le résultat de la publication de la thèse de Claudia Infurchia, psychologue clinicienne, psychothérapeute à référence psychanalytique. En conséquence il y manque quelque chose comme une vivance dans l’écriture et cela le rend âpre. Il est cependant riche, ce qui lui donne sa valeur, d’un contenu quasi exhaustif des concepts des neurosciences mais moins fourni en concepts de psychanalyse avec des distorting selection, des prélévements. Le livre est utile si on veut avoir sous la main les références actuelles en neurosciences. Selon R. Roussillon dans sa préface, car il faut l’associer à cet ouvrage, « ce livre est le fruit d’un énorme travail de compilation et de la présentation des modèles en présence ; il engage la question de leur dialogue malgré des différences de langage conceptuel, malgré les différences d’épistémologie ». Et en effet, on doit reconnaître dans ces lignes, un vrai travail d’exégète permettant de s’y retrouver dans la jungle conceptuelle des neurosciences. Mais en même temps pour être critique, cette thèse apparaît comme paradigmatique de nombreuses thèses aujourd’hui assez maigres sur le plan des trouvailles fondamentales dans le sens où elles finissent par pêcher, à force de se vouloir scientifiques, véritables pensums, travail fastidieux pour l’étudiant. Il est bien souvent demandé voire recommandé aux étudiants de ne prendre aucun risque, de prouver ce qui est déjà prouvé, de déplier et de creuser des métaphores mais de les creuser dans un style d’apparence scientifique comme les copistes des scriptorium. Certes la critique est facile l’art est difficile mais néanmoins on peut s’interroger sur le rêve neuroscientifique de la psychanalyse lorsqu’elle y cherche une forme de légitimité. Selon C. Infurchia, il existe des rapprochements possibles des similitudes entre ces deux disciplines, d’accord, mais longtemps la psychiatrie s’est appelée neuropsychiatrie voir même neurologie et grâce à Freud, la psychanalyse est née justement d’une séparation d’avec la neurologie. Par conséquent, il eut été étonnant que les deux branches de cette division ne puissent porter des concepts nommés différemment mais représentant les mêmes choses. Le psychanalytique et le neuroscientifique sont comme deux langues appartenant à l’origine au même peuple et qui ensuite aurait subi une division salutaire pour se retrouver et dialoguer ailleurs plus tard, autrement dit aujourd’hui. L’Esquisse est le produit de cette opération subjective de Freud. Lacan a montré dans son interprétation du rêve de l’injection faîte à Irma, à quel point cette opération subjective fut angoissante pour Freud ; mais qui dit angoisse dit désir, axe du désir. On pourrait dire aujourd’hui avec R. Thom que Freud a été pris dans un saut catastrophiste qui a donné naissance à un mythe indépendant du mythe scientifique de son époque mais dont il rêvait qu’il le fut, scientifique. Ce saut catastrophiste fut pris par Lacan comme la voie royale qui devait diriger la cure d’un analysant s’il voulait faire surgir du savoir crû en son propre et théoriser des points cruciaux de la psychanalyse. Mais pourquoi, de manière latente, la neuroscience est-elle déclarée plus scientifique que la psychanalyse dans un champ où malgré le déni, le sujet de l’inconscient continue de régner en maitre ? Or il apparaît dans l’ouvrage de C. Infurchia qu’en quelque sorte de manière insidieuse, le scientifique serait du côté des neurosciences qui jouent sur le terrain de l’expérimentation et la psychanalyse aurait du mal à trouver un statut du même ordre alors même que ce qui s’appelle scientifique en psychanalyse n’est pas le scientifique des neurosciences. Tout cela crée la plus grande confusion. Comme si le procédé de la cure n’était pas scientifique parce que le sujet relate son expérimentation par le dedans. Fameux débat que l’objectivité subjective ! Sans doute faut-il le redire encore et encore : cette recherche dite scientifique pense toujours échapper au langage lui-même, autrement dit oublie qu’il n’y a pas de métalangage même s’il est scientifique. L’effort scientifique est de neutraliser la subjectivité. Or il n’existe aucun créateur en physique, en mathématique dont la théorie ne soit née d’un moment d’épreuve subjective douloureuse aboutissant à la naissance d’un objet de pensée. Si l’on détruit la subjectivité, il n’existe plus de création mais de la logique jusqu’à l’absurdité et le meurtre du sujet auquel on assiste aujourd’hui. Dans l’ouvrage, on lit également dans la préface que pour R. Roussillon le fait d’avoir pu trouver des points analogiques entre les deux champs est rassurant pour les cliniciens. Le mot « rassurant » est surprenant là où l’engagement psychanalytique conduit à éprouver, au contraire justement, l’angoisse comme un moment rassurant et fécond. On peut dire que les « psys » de tout bord ne sont pas assez angoissés et plein de certitudes. Dans le moment d’évidemment du symptôme, l’angoisse, dit Lacan, devient une protection et pour lui ce moment est même rechercher comme un signe attestant l’effectuation d’un travail subjectif….scientifique et repérable. On voit là l’impossible entre les deux épistémologies. Comparer et trouver du comparable entre neuroscience et psychanalyse aurait pour tâche de désangoisser car « pour les cliniciens il aurait été traumatique qu’ils découvrent que ce qui sous-tend leur démarche ne soit qu’illusions « psychologiques » sans aucun sous-bassement biologiques sérieux ». Il serait bien que les cliniciens soient un peu traumatisés. Or, en scrutant le neuroscientifque, on cherche vainement ce fameux sous-bassement qui finalement est beaucoup plus présent dans la théorie psychanalytique freudienne, Lacan, lui, au contraire considérant que le corps, dans le prisme du fantasme, n’existe pas ou n’ek-siste pas. Ce n’est pas forcément à suivre systématiquement. Passer l’effet de surprise, le lecteur psychanalyste soudain comprend trop ce qui se passe et on comprend trop comment la recherche clinique mais donc la thérapeutique en général est prise dans un symptôme qui lui fait perdre le fil : scientifique égal rassurant et certitude. Voilà une critique qui pourrait prédominer, sans doute non pas concernant l’ouvrage, mais le sens qu’on lui donne et la démarche pour « faire correspondre ». Disons le autrement, il s’agit d’une démarche analogique qui ici est tronquée ou tout du moins mal posée. Cette dernière en effet est toujours basée sur une succession de médiation entre deux termes qui sont soit opposés soit sans aucun rapport. Ce process analogique est le but, la fonctionnalité même du mythe selon Lévi-Strauss. On aperçoit bien cette difficulté lorsque C. Infurchia tente de comparer, superposer soit rendre similaire le concept de pulsion psychanalytique et celui d’émotion dans la neuroscience par le biais de l’angoisse qui implique une motricité d’évitement. Le procès médiateur utilisé apparait un peu comme un tour de passe-passe : inversion des causes et des effets, des contenants et des contenus jusqu’à aboutir à trouver une similarité. Or dans la démarche analogique, le « scientifique » consiste à poser ainsi les données : « quelque chose est à quelque chose ce que quelque chose est à quelque chose » sinon le raisonnement apparaît comme celui de la ritournelle « selle de cheval, cheval de course, course à pieds, etc. ». En même temps, l’auteure exprime qu’elle cherche des concepts qui dans les deux épistémologies seraient des concepts entre soma et psyché. Pour cela, elle prend comme argument le fait que Freud évoque l’angoisse provoquant une motricité d’évitement, ce qui est appelé ici une psychosomatique. Mais le mot « psychosomatique » loin de résoudre une difficulté, en construit une supplémentaire : en l’occurrence, il s’agit là d’une psychomotricité et qu’on se le dise, il existe encore aujourd’hui une incommensurabilité du concept entre motricité idéelle et motricité physique, une vacuité conceptuelle majeure pour ce qui concerne l’embryogenèse des processus de psychomotricité originaire. Freud a montré clairement le clivage qui se produit avant la formation de l’inconscient dans les voies pulsionnelles entre le destin de l’imagerie du rêve et celui qu’il prend dans la motricité du somnambulisme par exemple dans « complément métapsychologique à la théorie du rêve » (1915). Il n ‘y a pas de métalangage est donc à chaque fois que C. Infurchia bricole une comparaison autrement dit une conjonction conceptuelle structurale ou non, il s’ensuit qu’elle produit une disjonction encore plus grande. Par ailleurs, il est oublié que la recherche sur les concepts de neuroscience et de psychanalyse subit l’effet du sujet remuant le chercheur. Par exemple si on considère le concept d’angoisse, le rapport du chercheur à sa propre angoisse va déterminer le résultat de ses travaux sur l’angoisse. Le chercheur peut, dans la vie, chercher à fuir son angoisse ou au contraire à s’en emparer. Si bien que son maniement du mot angoisse, son sens ou sa signification va être orienté en fonction de sa subjectivité. En psychanalyse depuis Lacan, si on considère l’angoisse comme ce qui se situe entre perception et conscience, en fonction des modalités de l’angoisse dans le chercheur, ce dernier va lui attribuer soit le statut de conscience exclusif soit le statut de perception exclusif ou bien encore lui donner le statut d’émotion en neuroscience ce qui ne revient pas du tout à la même chose et va avoir des retentissement considérables sur la position du clinicien….plutôt que de faire attraper l’angoisse comme sens non éclos par le sujet et contenant un objet ou encore comme le résultat d’un interdit posé sur un désir/ plaisir inconscient, on va soit tenter de la traiter par la conscience « raisonnable » soit tenter de la bannir comme perception désagréable d’une manière comportementale en prenant l’objet apparent (l’ascenseur, l’avion, l’espace, etc.) comme l’objet réel de l’angoisse. Et on peut dire que le destin du sujet va alors être profondément différent selon les types d’appréhension du problème. Alors il n’est pas inutile de souligner qu’une quête d’un refuge désangoissant dans la preuve que « quand même puisque les concepts psychanalytiques sont comparables aux concepts neuroscientifiques alors la psychanalyse est scientifique », risque de limiter les recherches en psychanalyse dans la mesure où leurs fondations s’appuieraient sur une puissante dimension subjective contra-phobique ….pour être tranquille. Rappelons tout de même que l’enjeu d’une psychanalyse et la création des concepts avec Freud, lui-même pris dans la jouissance de son symptôme, surgit de la parole des analysants comme crû en leur propre – ce qui n’est pas le cas de l’expérimentation neuroscientifique – même si ce phénomène est assez rare puisque les analysants posent un joker le plus souvent bien avant sa production en s’installant analyste et que l’Université préfère les travaux qui s’en passent. Et cela suffirait déjà à rendre incommensurables les deux discours si on tente une démarche asymptotique. G. Pommier a pu montrer les influences réciproques entre les deux champs (Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse, 2004). Rappelons que dans la psychanalyse, la jouissance du symptôme produit par l’opération de la cure un désir de recherche et de chercheur, même s’il ne s’inscrit pas dans l’Université et ce désir de chercheur est la réactivation du désir de savoir de la sexualité infantile. L’absence de reconnaissance de sa sexualité infantile fait disparaître toute trouvaille en psychanalyse. Les concepts dans la psychanalyse possèdent, en leur cœur, de la vivance de sujet. Rajoutons que démasquer un objet intérieur au discours de celui qui parle par un long travail de plusieurs années à haute fréquence apparaît comme vraiment scientifique. Il produit un effet statistique du discours démasquant l’effet d’une sorte d’attracteur étrange intérieur au symptôme déterminé comme la pulsion et son objet : Démasquer la pulsion, le réel disent Leclaire et Nasio (Seuil, 1971). Il s’agit là d’une détermination vraiment mathématique comme dans la suite de Fibonacci qui avec ses phénomènes de périodicité et de succession laisse la neuroscience loin derrière quand on considère des systèmes dynamiques non-linéaires, discrétion et accrétion. Quelle est la signification de tout cela ? L’éthique bien sûr car manier le concept de pulsion en ayant démasquer la sienne n’est pas du tout la même chose que de manier le concept de pulsion d’une manière parfaitement théorique sans avoir l’idée même de ce qu’est une pulsion en soi, sans en avoir éprouvé l’immonde. Dans la recherche en psychanalyse, il apparaît que nous retrouvons une méthodologie des sciences morphogénétiques. Ces thèses nous enseignent les sciences du chaos apparent mais présentant de manière latente un fondement stable qu’il faut démasquer : pas sans rapport avec la structure du rêve. La mémoire est cette stabilité et ces sciences apparaissent bien plus utiles à la psychanalyse que les neurosciences. Attendons un ouvrage intitulé la mémoire entre science morphogénétique et psychanalyse notamment dans la question de l’autisme qui n’est pour le moment ni attraper par le discours neuroscientifique ni par celui de la psychanalyse et qui pourtant comporte à un haut degré d’interrogation la question de la mémoire.

 

J.B. BEAUFILS