Economie et psychanalyse, le progrès en question

Recension du livre de Jacques ROTH

Economie et psychanalyse,
le progrès en question

par Dominique Jacques ROTH aux Editions L’Harmattan, 2011.

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Dès la deuxième page de l’introduction, cette citation de Joliot Curie : « Qu’importe que la terre saute, si la vérité est à ce prix ». Le ton est donné. Un livre de 302 pages, une grosse bibliographie sortant des sentiers battus. Tout cela dans un seul but : Dominique Jacques Roth entend pourfendre le discours capitaliste et les idéologies qui se concoctent pour se développer au mépris de l’individu et vider toute téléologie.. Encore un livre qui dénonce le capitalisme et sa sauvagerie, se dit-on ! Mais, celui-là ….détonne. En effet la véritable thèse, le lecteur la découvre en retournant le livre comme un doigt de gant. Alors il apparait un travail du positif, fragile : le discours de la psychanalyse est au service du développement durable de l’homme et de la terre. D. J. Roth parle deux langues, celle de l’entreprise, il est ancien haut cadre chez France Télécom et celle du psychanalyste et vous trouverez à la lecture comment, placé à la lunule des deux, il se débrouille pour vous dire tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les rouages inconscients de la mondialisation… sans jamais oser le demander. Il tente de lire les transformations actuelles à la lumière de conceptions psychanalytiques. Déjà l’auteur y était allé fort avec ses articles titrés « Molesses phalliques » ou « Priape en pire », mais accordons-lui que cette violence est à la mesure de l’autre violence que nous inflige la dominance scientifico-technologico-marchande, la STM, comme il la nomme. Ses articles aux titres évocateurs laissaient entendre pertinemment que le discours ultralibéral, armé de la logique scientifique, s’apparentait à un trouble de la sexualité, à une question pulsionnelle qui a toujours à son extrémité la dimension de la pulsion de mort. On perçoit le travail du négatif greenien.

Mais il y a autre chose et c’est cela qui en fait sa spécificité : tout au long de son développement, D.J. Roth travaille au coeur de notre démenti et de notre déni en le débusquant. Ce qu’il écrit, nous ne voulons pas le savoir alors même que nous le savons déjà intimement. Ce livre-là est à un niveau collectif, comme le livre de Freud Les trois essais sur la sexualité est à l’individu : avant une analyse, on le rejette parce qu’il met mal à l’aise. Oui ! La pulsion sexuelle est exorbitante pour l’individu, nous le savons nous les psychanalystes, et le désir aussi lorsqu’il est sous tendu d’une régression sadique. Mais collectivement avec la STM, c’est pire encore. Le couple pulsion/désir, pris en charge et défini d’avance par un « on » anonyme, est sans limite, prêt à toutes les stratégies pour aboutir à ses fins absorbées dans ses moyens. Il est une quête en avant sans dessein véritable, visible et défini, si ce n’est de se reproduire. L’aphorisme « la fin justifie les moyens », déjà fumant, est même tronqué avec D.J. Roth, nous – car nous sommes partie prenante – sommes parvenus à lui supprimer le mot même de fin au sens de dessein. Et pourtant c’est devenu peu à peu notre éthique. Elle est tordue et nous en sommes nous-mêmes les objets par nos petits compromis quotidiens : il faut bien « bouffer »et pour cela il faut « un peu soit tant«  se soumettre à la promesse libérale qui devient une prison de la pensée et des comportements. Pour survivre, comme l’animal d’expérience, il faut avoir le bon comportement dicté d’avance. Pour cela, le mot d’ordre est : « les moyens justifient les moyens ». Il est promis qu’il n’y aura pas de fin, pas de mort, pas de limite, pas de manque. Nous sommes placés dans un bouclage réflexif onanistique et idiot, sans objet autre que l’objet lui même.

A un niveau mondial, le discours STM utilise la technicité du discours du pervers et peu à peu l’individu qui n’appartient pas au sérail, non seulement se vide de son être – l’auteur cite Heiddeger et L’oubli de l’être – mais se trouve également placé dans la même impuissance répétitive que celle de Justine. Ils ne vont – mais qui tire les ficelles ? – quand même pas faire ça, eux, ces hommes munis de ces titres qui nous assurent de leur intégrité morale ? Mais si ! Ils le font ! Ce sadisme est provoqué par la haine de la mère. Le discours STM est lui sous-tendu de la haine de la Terre-Mère nous dit l’auteur alors qu’elle était tellement respectée de toutes les civilisations avant ce discours. C’est une maladie du plus, une maladie collective dont les régulateurs sont des pompiers pyromanes. L’être rechigne certes mais il devient impuissant à faire valoir une quelconque éthique humaniste au sens des Lumières, là où l’éthique préférée est celle du jouir à tout prix et toujours plus comme fin qui justifie les moyens. On entendra là l’écho de la manière dont procèdent les rédacteurs du DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des troubles Mentaux) qui paradoxalement, scandaleusement, stigmatisent cette ardeur à jouir qu’appelle le discours STM. Injonction paradoxale. Après le passage de D.J. Roth, le sigle DSM se dira Désignation Sado-Masochiste et il apparait bien dans la lumière qu’il est le compagnon de route pseudo-médical du discours STM qui se comporte comme une machine de guerre contre la castration. Une machine puissante terrible au service du déni. Nous sommes dirigés par la sexualité infantile déniant la castration parce que cela nous touche là où nous-même la dénions par notre servitude volontaire s’inscrivant dans ce que D.J. Roth appelle la servitude formelle. C’est une folie : le discours STM fait croire qu’il parviendra à résoudre le Réel, que c’est une affaire de temps. Car  il s’agit bien d’un réel, non d’une réalité, ne nous y trompons pas car sinon nous pourrions y faire quelque chose. C’est un réel factuel comme le fut la Shoah mais cette fois-ci un factuel Symbolique du Symbolique, une utilisation perverse du symbolique, c’est à dire relatif au nombre, à la quantification, aux statistiques là où nous attendons une version de père. Une maladie du symbolique qui atteint l’homme dans le réel, dans son organisme et qui, utilisé dans les entreprises, produit des passages à l’acte mortels. Le discours STM a prévu les médicaments pour remédier à l’effet de l’utilisation de cette modalité. Le but ? Nous faire aimer vivre sous un statut sans être, sans subjectivité, voués à produire et espérer comme le personnage de Ryner Han « Ah ! comme je prierais (la fée qui m’a transformé) de me refaire fourmi, pour toujours cette fois, et en m’affranchissant du trouble de toute pensée humaine, de tout souvenir humain. Oui, je la supplierais avidement. Car je n’ai trouvé que des compensations trop insuffisantes au riche univers perdu. Le baiser est un si pauvre paradis ». Moutons de Panurge du discours STM, l’homme fonce dans ce qui a été organisé pour lui par quelques-uns. L’être pour la mort psychique hégélien réalisé dans le réel.

Espérons que le psychanalyste n’est pas le dernier des Mohicans.

Psychothérapeutes de tout bord, après avoir lu ce livre vous choisirez votre camp sans plus pouvoir ignorer les conséquences de votre acte. Ce livre est un manifeste et on a envie de hurler : il est fait pour ça. Mais bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Jean-Baptiste BEAUFILS